Études de cas de bailleur de fond

  1. 01

    La Fondation Astraea

    • Astraea s’est toujours engagée en faveur de la culture, de la guérison et de la résilience au sein des mouvements. La justice guérisseuse, même si nous ne l’avons pas toujours appelée ainsi, est au cœur de notre travail depuis nos débuts.

      Convaincu·e·s du pouvoir de la guérison, de la communauté, de la culture et de la joie, nous avons accordé un de nos premiers financements, il y a de cela quatre décennies, à une chorale de lesbiennes ! Plus généralement, nous avons toujours soutenu les organisations dirigées par des personnes queer, trans et non conformes dans le genre, racisées et migrantes, enracinées dans des communautés qui sont confrontées à des violences institutionnelles, étatiques et interpersonnelles et qui subissent des traumatismes actuels et générationnels. Au cours de ces dix dernières années, nous avons observé que les organisateur·ice·s aux États-Unis travaillent de plus en plus pour relancer et pratiquer des traditions ancestrales mais aussi pour construire de nouveaux modèles d’organisation qui mettent en avant la sécurité et le bien-être — des modèles dirigés par les communautés et autodéterminés, hors du contrôle de l’État et qui interviennent sur des traumatismes générés par de multiples formes de violence. Nous avons appris du travail mené par des partenaires bénéficiaires visionnaires comme Southerners on New Ground, Communities United Against Violence, Audre Lorde Project, El/La Para Translatinas et Buried Seedz of Resistance, entre autres, qui ont tous fait de la guérison une partie intégrante de leur libération politique. Nous avons entendu les organisateur·ice·s s’interroger, et en tant que bailleur de fonds communautaire, nous nous sommes demandé : Comment prenons-nous soin de nos camarades? Comment soutenons-nous et alimentons-nous les organisateur·ice·s et les mouvements sur le long terme? Que nous faut-il pour faire de la sécurité et du bien-être une réalité dans le cadre de notre libération?

      En ces temps si critiques, avec la montée des violences policières, l’élection présidentielle de 2016 et l’augmentation effrénée des actes de violence transphobe, anti-noir·e·s et anti-immigré·e·s, nous avons pris contact avec nos partenaires bénéficiaires états-uniens et nous leur avons demandé quels étaient leurs besoins les plus pressants et comment nous pouvions les soutenir durablement. Les deux principaux besoins exprimés étaient le soutien à la santé mentale/au bien-être pour les responsables d’organisations et les membres de la communauté, et l’appui à la sécurité holistique pour protéger les membres et leurs organisations. Pour y répondre, nous avons sécurisé des fonds auprès d’un de nos donateur·ice·s de longue date afin de créer des espaces délibérés d’apprentissage, de pratique et de soutien de la justice guérisseuse. Nous avons commencé par organiser une réunion stratégique en 2017 avec douze responsables de mouvement aguerris au recours à la justice guérisseuse dans le cadre de leur travail d’organisation. Illes ont tous rappelé à quel point il est nécessaire et opportun de se mettre en lien et de construire ensemble, pour éviter de se sentir isolé·e·s en ces temps si troublés et pour amplifier l’impact de leurs stratégies locales en matière de sécurité et de bien-être. Illes ont fait part du sentiment d’épuisement émotionnel causé par la situation politique actuelle et par le manque d’espaces permettant aux guérisseur·se·s et aux praticien·ne·s de se réunir. Illes ont évoqué l’idée d’enraciner le travail de justice guérisseuse dans les interventions menées dans les systèmes qui tuent nos communautés, et de récupérer notre pouvoir par une optique abolitionniste. D’un point de vue de la justice guérisseuse, illes ont dressé le panorama des menaces auxquelles nous faisons face et les diverses modalités des réactions de nos mouvements. Illes ont demandé ce qui était nécessaire et comment nous pourrions collectivement répondre à ce besoin.

      Suite à cette réunion, nous avons élaboré des plans pour une plus grande rencontre consacrée au renforcement des capacités, ainsi que pour un petit programme de financements de la justice guérisseuse. Trente organisateur·ice·s venu·e·s de tout le pays ont participé à la deuxième rencontre, y compris des personnes qui ont de longues années d’expérience en matière de justice guérisseuse et d’autres qui commencent à peine à s’y consacrer. Un des enseignements les plus forts a été à quel point l’ancrage de ce travail est local et doit l’être, malgré la réalité que chacun·e est confronté·e aux mêmes forces et tendances nationales. Les participant·e·s ont soulevé des questions pressantes, comme celles de savoir comment endurer des pertes et une douleur immenses, comment intégrer et fournir des moyens au travail de guérison dans nos organisations et mouvements et comment mieux soutenir les praticien·ne·s ancré·e·s dans nos communautés. En soulignant les liens intrinsèques entre la justice guérisseuse et l’organisation politique qu’illes pratiquent, les participant·e·s ont également soulevé la nécessité de politiser le rôle des prestataires de soins et des praticien·ne·s de la guérison, à la fois pour limiter leur complicité et accroître le soutien disponible pour les personnes placées en détention et incarcérées.

      Après ces rencontres, nous avons invité les partenaires bénéficiaires à présenter leur candidature pour bénéficier d’un soutien dédié au travail de justice guérisseuse. Il s’agissait de petits financements, d’un montant allant de 3 000 à 5 000 dollars, et qui appuyaient un éventail de projets : la formation du personnel et des organisateur·ice·s sur la meilleure façon de soutenir les membres de la communauté confronté·e·s aux traumatismes ; l’animation de retraites sur la manière d’intégrer plus pleinement le travail de guérison dans les programmes ; l’intégration de la méthodologie de la justice guérisseuse dans le programme de formation politique et la création de réseaux de guérisseur·se·s spécifiques aux communautés.

      Nous avons beaucoup appris grâce à ce programme de financement pilote. En particulier, les partenaires bénéficiaires font état d’un large éventail d’expériences avec ces pratiques et illes ont par conséquent des besoins et des priorités très différents. Les organisateur·ice·s les plus aguerri·e·s ont besoin de plus d’espace et de temps pour approfondir les stratégies visant à répondre à la violence, à la surveillance et à la criminalisation accrues, et aussi à la peine et au traumatisme collectif au sein de nos communautés et de nos mouvements. Les organisations et les organisateur·ice·s qui ont entamé ce travail plus récemment ont besoin de temps pour se plonger dans le langage de la justice guérisseuse, la théorie du changement et la pratique afin de mieux envisager l’intégration de la justice guérisseuse dans leur travail. Nous devons trouver des moyens d’appuyer les gens dans ces situations très différentes. Nous avons aussi constaté qu’un certain nombre de partenaires bénéficiaires souhaitaient explorer davantage. Par exemple, beaucoup de gens voulaient mieux comprendre l’intersectionnalité entre le handicap et la justice environnementale, qui étaient au cœur de la réflexion sur la justice guérisseuse à l’origine, mais n’en fait plus partie depuis. Les partenaires bénéficiaires ont aussi fait part de leur intérêt pour en apprendre davantage sur la sécurité holistique et les pratiques indigènes de guérison que les organisateur·ice·s utilisent dans diverses zones géographiques à travers le monde.

      Au-delà de cette initiative, nous œuvrons pour l’intégration d’un cadre de bien-être et de guérison dans toutes les rencontres organisées par Astraea, en mettant en avant les besoins des partenaires bénéficiaires. Cela a commencé avec notre U.S Movement Building Initiative dans les années 2000, en partenariat avec le Disability Justice Collective, et qui constitue à présent un élément central de notre programme mondial CommsLabs, une initiative de renforcement des mouvements qui relie la sécurité holistique, la technologie, les médias, la communication, l’innovation à la base des communautés, la guérison et la résilience. Nous nous sommes associé·e·s à Harriet’s Apothecary et à d’autres guérisseur·se·s indigènes pour organiser les discussions consacrées à la guérison lors des rencontres CommsLabs. Les discussions sur la guérison comprennent à la fois la pratique et la stratégie, en promouvant la guérison comme technologie ancestrale essentielle au renforcement des mouvements. Les partenaires bénéficiaires nous disent systématiquement que le fait d’avoir privilégié la guérison lors de ces rencontres a été une des expériences les plus significatives pour elleux. Par le biais de CommsLabs, nous soutenons aussi les partenaires bénéficiaires pour faire avancer les projets qui conjuguent la guérison avec les domaines de la communication, des médias et de la technologie. Ces projets portaient sur la création d’un réseau de guérisseur·se·s et d’organisateur·ice·s en Afrique de l’Est pour la première Journée de Visibilité Transgenre est-africaine et la mise au point d’une application pour l’enregistrement des actes de violence contre les personnes queer, qui intègre la guérison et le soutien dans le cadre du signalement.

      Une des façons que nous avons eue d’intégrer significativement un cadre de justice guérisseuse dans l’ensemble de notre travail, a été de l’inclure dans notre cadre d’apprentissage et d’évaluation. Nous avons procédé de la manière suivante:

      Astraea espère assister à une utilisation approfondie de la justice guérisseuse, de la sécurité holistique, de la résilience et/ou des pratiques de survie qui privilégient la sécurité collective et émotionnelle, physique, spirituelle, environnementale et le bien-être mental des communautés. Les exemples de cette démarche sont les suivants mais il peut y en avoir d’autres:

      • Des pratiques de soutien et de sécurité visant à répondre à l’impact de la violence et du traumatisme, notamment la violence interpersonnelle, systémique et générationnelle, intégrées dans les stratégies d’organisation
      • Des pratiques culturelles et holistiques pertinentes pour la communauté, notamment des traditions ancestrales, affirmées et intégrées dans les stratégies d’organisation
      • Des compétences en matière de leadership et d’organisation qui incorporent des pratiques et des analyses culturelles et politiques explorant la sûreté, la sécurité et le bien-être comme parties intégrantes du renforcement des mouvements et de la survie collective
      • L’élaboration de stratégies de soins collectifs pour aborder le surmenage, les syndromes de stress post-traumatique, les traumatismes secondaires et l’épuisement émotionnel et spirituel subis par les activistes/organisateur·ice·s
      • Connaissances et recours accrus aux pratiques de sécurité holistique, notamment en prêtant attention à la sécurité numérique et physique
      • Une contribution plus active à l’analyse organisationnelle, y compris l’éducation politique qui aborde la pathologisation des personnes et des communautés LGBTQI et qui cultive de nouvelles pratiques qui améliorent de manière significative l’accès à des soins de qualité et dignes (en fournissant l’accès direct à des praticien-ne-s holistiques et en remettant en cause les idéologies néfastes par rapport au bien-être)
      • L’élargissement des stratégies et structures de sécurité et de bien-être qui sont menées et définies pour, par et à propos des communautés marginalisées, chosifiées, contrôlées et maintenues sous surveillance par les institutions étatiques, médicales et scientifiques
  2. 02

    Le Fonds Groundswell

    • Naa Hammond, Chargée de programme & Alexandra Delvalle, Directrice des programmes

      “Groundswell a une longue expérience en matière de soutien à la justice guérisseuse . Nous continuons à apprendre et à découvrir les différentes modalités de notre soutien à ce travail.”

      “Nous avons tout d’abord rencontré les bénéficiaires de Reproductive Justice qui intégrent des pratiques corps-esprit, comme la technologie Forward Stance (une technologie conçue par Norma Wong, qui se base sur une approche corps-esprit du renforcement de mouvements). Le travail de guérison s’est également manifesté dans notre Fonds Birth Justice, qui est légèrement différent de nos autres fonds ayant pour finalité l’organisation communautaire dans la mesure où il comporte un portefeuille dédié aux accoucheur·se·s racisé·e·s. Le Fonds Birth Justice a été co-fondé par des sages-femmes en activité. C’est pourquoi notre réflexion sur ce travail peut davantage appuyer un modèle de soins holistique. Autre projet soutenu par ce Fonds, celui d’une association d’accoucheuses racisées dans la Baie de San Francisco qui ont construit une tente de sudation à l’arrière de l’une de leurs maisons pour se soigner et gérer leurs traumatismes secondaires en tant que praticiennes. Cette pratique n’est pas toujours dénommée justice guérisseuse mais elle constitue une dimension essentielle des soins, quand on tient compte de la manière dont les accoucheuses raciséessont tournées sur les héritages de traumatismes dans nos communautés.

      “Notre Fonds Wellness est encore une autre initiative qui soutient la justice guérisseuse. Juste après les élections présidentielles de 2016, nous avons décidé de mettre de l’argent de côté pour financer les organisateur·ice·s de première ligne et nos bénéficiaires de long terme, pendant cette période extrêmement critique. Nous avions été témoins du surmenage de nos bénéficiaires et de l’accroissement de leurs problèmes de santé. Nous voulions vraiment soutenir les responsables dans cette période, ces responsables dont nous dépendons et qui n’allaient pas bien. Nous avons été bouleversé·e·s par le nombre de demandes qui nous sont revenues ; et nous avons reçu un nombre de demandes trois fois supérieur à ce que nous pouvions accorder. Finalement, nous avons été en mesure de concéder des fonds à dix-sept organisations. Les associations ont pu déterminer par elles-mêmes le but de l’utilisation des fonds, y compris les activités de bien-être pour toute l’organisation, comme le travail sur les politiques de ressources humaines qui intègrent mieux les valeurs de justice sociale ou le soutien à la formation à la direction du personnel racisé en poste dans des organisations dirigées par des personnes blanches. Un certain nombre d’organisations souhaitait intégrer les pratiques corps-esprit et de bien-être dans leur travail sur une base régulière, pour faire du yoga ou intégrer des pratiques de guérison fondées sur l’affirmation culturelle. Nous avons beaucoup entendu parler des besoins individuels des organisateur·ice·s; les gens voulaient réellement des fonds pour prendre des congés sabbatiques ou offrir des pauses à leurs doulas bénévoles—en outre, nous avons reçu quelques demandes pour l’achat de médicaments et le paiement de loyers.

      “Au-delà des pratiques corps-esprit ou des politiques organisationnelles durables, nous soutenons des stratégies de sûreté et de sécurité pour les organisateur·ice·s en première ligne par le biais de notre Fonds Rapid Response. En ces temps de menaces croissantes, notre travail est devenu particulièrement important, que ce soit en dispensant des formations culturellement appropriées sur la sécurité numérique conduites par des personnes racisées/indigènes queer et trans, ou pour soutenir le travail à Standing Rock. Un certain nombre d’associations ont fait savoir qu’elles avaient besoin d’une formation sur la planification de la sécurité avec des personnels de première ligne qui peuvent être sans-papiers ou encore plus exposés à la violence policière. Ce travail sur la sûreté et la sécurité s’inscrit dans le cadre plus large de la justice guérisseuse.

      “Nous continuons à nous demander : comment pouvons-nous soutenir la capacité d’une communauté à réagir rapidement et sans danger ? Les sages-femmes et les doulas que nous soutenons subissent souvent des pressions pour agir en tant que premières intervenantes lors d’ouragans ou d’autres catastrophes naturelles et en réponse à des crises comme la marche des suprématistes blancs à Charlottesville en Virginie qui a traumatisé les communautés noires. Nous réfléchissons aussi à la manière d’intégrer une optique fondée sur la justice climatique dans notre financement, dans le cadre de notre engagement en faveur de la sécurité.

      “Il est d’une importance cruciale de respecter l’auto-détermination des responsables communautaires dans leur définition de la justice guérisseuse. Chaque personne, organisation et communauté peut définir sa vision de la guérison, du bien-être et de la durabilité. Il est essentiel que les groupes travaillent avec leurs propres guérisseur·se·s et adoptent le rythme le plus adapté pour eux. Les bailleurs de fonds peuvent avoir un impact très négatif s’ils essaient de contraindre les partenaires bénéficiaires à adopter des méthodologies spécifiques pour obtenir des financements, en créant des relations forcées entre les consultant·e·s et les bénéficiaires, ou en incitant les groupes à travailler avec des praticien·ne·s qui ne sont pas issu·e·s des communautés des bénéficiaires et ne comprennent pas leur contexte. L’autodétermination et le consentement sont essentiels à la justice guérisseuse ; ils doivent aussi être au cœur de notre approche des financements. De plus, ce type de travail ne peut pas exiger de livrables — c’est une des raisons pour lesquelles Groundswell n’a pas demandé de compte rendu, même si 2 ans plus tard, les bénéficiaires continuent de nous dire avec enthousiasme et spontanément combien les subventions du Fonds Wellness les ont aidé·e·s à faire évoluer la culture organisationnelle, à intégrer de nouvelles pratiques de bien-être régulières et à mettre en œuvre de nouvelles politiques pour empêcher le surmenage et remonter le moral.”

  3. 03

    Urgent Action Fund – Amérique latine et Urgent Action Fund for Women’s Human Rightss

    • Tatiana Cordero, Directrice exécutive, Urgent Action Fund—Amérique latine & Shalini Eddens, Directrice des programmes, Urgent Action Fund for Women’s Human Rights

      “Le concept de sécurité et de la sûreté holistiques et même celui de justice guérisseuse, fait partie du tissu même de notre politique de financement. Nos subventions d’intervention d’urgence financent un éventail d’approches, allant de la formation sur la sécurité numérique au soutien apporté à une femme qui doit être évacuée de sa communauté en raison de menaces ou d’agressions.”

      “Grâce à ce travail, nous en avons plus appris tou·te·s ensemble sur les pratiques de protection collective. C’est la raison pour laquelle nous n’appelons pas cela prendre soin de soi. Nous préférons parler de bien-être relationnel. Nous estimons que nous ne pouvons pas utiliser nos ressources économiques pour prendre soin d’une seule personne ; nous devons toujours prendre soin du collectif. Pour faire du soin une réalité dans la vie de quelqu’un·e, il faut que cela ait lieu dans le cadre de ce réseau plus large de soins. Nous parlons des soins comme d’une éthique de vie et pour nous organiser autour de et à partir d’un lieu de résistance, il faut avoir la volonté de remettre le pouvoir en question. Car lorsque nous parlons de soins ou de bien-être, nous parlons de risques. Ce travail comporte des risques, il est donc extrêmement important d’élargir la compréhension de l’origine des risques. Les risques proviennent de l’extérieur, et oui, il existe des menaces et des conditions qui nous sont extérieures, mais il existe également des risques internes qui sont liés à nos pratiques, à la nature des relations entre les bailleurs de fonds et les activistes, à la nature de nos relations les un·e·s avec les autres. Ce travail d’approfondissement de notre compréhension a aussi impliqué de réviser nos pratiques et nos dynamiques de pouvoir à travers fonds.”

      Tatiana Cordero, Urgent Action Fund —Amérique latine


      “Dans le financement conventionnel de la protection et de la sécurité, les évacuations couvrent uniquement les défenseur·e·s, mais nous veillons à ce que la-le défenseur·e et tou·te·s ses proches soient en sécurité. Cela peut inclure la prise en charge des frais de scolarité des enfants ou le soutien à une famille susceptible de dépendre de la personne aidante et ainsi de suite. Notre travail ne porte pas seulement sur la sécurité d’un·e défenseur-e des droits humains mais aussi sur la sécurité de sa famille entière et de son réseau immédiat. Nous sommes convaincu·e·s que la sécurité n’est pas seulement une question physique ; nous voulons également préserver la sécurité émotionnelle et mentale de ce·tte défenseur-e.

      “La justice guérisseuse et la sécurité holistique, ainsi que la sécurité collective intégrée, sont non seulement nécessaires pour la survie, mais c’est aussi un cadre politique important dans lequel s’inscrivent nos mouvements. Lorsque les Urgent Action Funds parlent de la dimension politique des soins, ce n’est pas seulement une question de se sentir bien. Il s’agit aussi d’un lien entre tous les quatre fonds de l’Urgent Action Fund. Le caractère politique des soins est indéniable, et c’est pour cela que nous travaillons comme nous le faisons.

      “Nous avons récemment invité une série de projets pilotes de sécurité intégrée à nous aider à comprendre à quoi ressemblerait la sécurité holistique si nous la financions réellement. Nous avons financé six pilotes dans six pays différents. Nous voulions avoir une idée de ce que ce serait de soutenir des organisations et des mouvements en vue de pratiques de sûreté, de sécurité et de protection des risques qui se sont éloignées d’une approche individuelle pour privilégier une approche plus collective. Un des apprentissage clés a été de découvrir que la sécurité collective était contextuelle. Par exemple, un groupe en Turquie qui travaille avec des travailleur·se·s du sexe a choisi de faire un projet qui utilise des pratiques de justice réparatrice avec les autorités policières locales. Les démarches ont été différentes pour notre partenaire pakistanais qui travaille sur le cyber-harcèlement avec de jeunes journalistes et bloggeur·se·s féministes, pour protéger la sécurité.

      “Nous avons posé des questions similaires pour nos subventions d’intervention rapide. Nous avons octroyé une subventiond’intervention rapide à dix femmes leaders musulmanes à New York, qui se sont mobilisées suite au troisièmedécret présidentiel de l’administration actuelle. Elles étaient toutes épuisées et surmenées et elles continuaient de subir de lourds traumatismes. Nous avons accordé une subventionà quatre d’entre elles pour qu’elles partent en retraite et apprennent ensemble des pratiques en matière de soins, de stress, d’anxiété et de traumatisme pour les enseigner à leur retour aux femmes avec lesquelles elles travaillent dans le Queens. Nous avons demandé à celles qui ont bénéficié de ce soutien : « Votre situation en matière de sécurité a-t-elle changé depuis que vous avez obtenu des moyens pour assurer ce type de travail et vous concentrer sur ces pratiques ? » La réponse a été que non, il n’y a pas eu de changement ; la situation a parfois même empiré. Ce qui a changé, nous ont-elles dit, c’est qu’elles ont désormais des connaissances en la matière. Elles ont dit avoir le temps, l’espace et les moyens de parler et de réfléchir à la manière de réagir aux traumatismes auxquelles elles étaient confrontées. Elles ont eu le temps de réfléchir et de renforcer leur analyse de la situation. Cela nous a surpris. Nous n’avions pas totalement assimilé l’idée que les connaissances étaient essentielles. Parfois, l’impact des moyens ne porte pas sur les changements de l’environnement car nous ne sommes pas réellement en mesure de peser dessus, mais il est utile d’avoir une idée de ce qu’on va faire, de savoir comment affronter son traumatisme et d’être capable d’évoquer son adversaire ou le contexte. Prendre du champ pour réfléchir et savoir, pour se souvenir, c’est une dimension importante de ce travail qui est souvent sous-estimée, et pourtant, comme nous l’ont montré nos partenaires, c’est fondamental. Cela fait partie du travail de soins.”

      Shalini Eddens, Urgent Action Fund

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